Première page de l’Évangile selon Jean, Évangéliaire d’Æthelstan (en), f. 162 recto (xe siècle
1:1 Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.
1:2 Elle était au commencement avec Dieu.
1:3 Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
1:4 En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
1:5 La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue.
1:6 Il y eut un homme envoyé de Dieu: son nom était Jean.
1:7 Il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui.
1:8 Il n’était pas la lumière, mais il parut pour rendre témoignage à la lumière.
1:9 Cette lumière était la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.
1:10 Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a point connue.
1:11 Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont point reçue.
1:12 Mais à tous ceux qui l’ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés,
1:13 non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.
1:14 Et la parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.
L’Évangile selon Jean (en grec ancien est le dernier des quatre Évangiles canoniques du Nouveau Testament chrétien. Il est daté des années 88-110 ( selon Raymond Brown, 1965)
Ce texte est rédigé en grec de la koinè, tout comme les trois autres évangiles canoniques, dits « synoptiques », mais il s’en démarque par sa composition, son style poétique, sa théologie, et probablement par ses sources, ainsi que par quelques épisodes singuliers, à l’instar des Noces de Cana ou encore de la « femme adultère ».
L’Évangile selon Jean est un de ceux qui exposent de la manière la plus explicite la doctrine trinitaire et la christologie chrétienne, car il énonce la divinité de Jésus, qu’il décrit comme le « Verbe de Dieu » incarné.
La tradition chrétienne l’a attribué à l’un des disciples de Jésus, l’apôtre Jean, fils de Zébédée. Cette hypothèse est aujourd’hui rejetée par la plupart des exegètes, qui voient dans ce texte l’œuvre d’une « communauté johannique », à la fin du Ier siècle.
un nombre croissant d’exégètes défendent l’hypothèse d’un lien entre le milieu de la rédaction de l’évangile et un ou plusieurs témoins oculaires des événements rapportés par le texte. L’historien Paul Veyne estime pour sa part « qu’il est […] difficile de ne pas ressentir l’authenticité brûlante du témoignage oculaire de Jean, qui donne le sentiment de la réalité, du vécu », notamment par des différences factuelles qui le distinguent des trois synoptiques.
Ancien Testament
L’évangile selon Jean entend montrer que Jésus est annoncé par l’Ancien Testamentv 14 et le compare aux grandes figures bibliques de la tradition juive60, parfois de manière avantageuse, par exemple quand il est comparé à Abrahamv 15 ou à Jacobv 16. Si Isaac n’est pas cité nommément, le parallèle est évident avec ce Fils unique aimé du Pèrev 17, notamment quand l’« agneau de Dieu »v 18 est évoqué en écho à l’interprétation juive de la parole d’Abrahamv 19.
Jésus est aussi, peut-être essentiellement, un prophète semblable à Moïse auquel le quatrième évangile fait régulièrement allusion à travers l’évocation de la prophétie deutéronomique : « Je mettrai mes paroles dans sa bouche et il dira tout ce que je lui ordonnerai »v 20. Le « nouveau Moïse » apparaît même supérieur, qui affirme : « C’est de moi qu’il [Moïse] a écrit »v 21. Enfin on note également la présence d’Isaïe, cité au commencementv 22 et à la finv 23 du ministère de Jésus61.
Depuis la fin du XIXe siècle, la fiabilité de l’Évangile selon Jean comme source d’informations sur le Jésus historique est contestée. Son rédacteur, ou son groupe de rédacteurs, propose une version en partie autonome par rapport aux synoptiques, en reprenant quelques passages pour les éclairer d’un nouveau jour, écrivant lui-même certains discours et illustrant certains concepts par des images qui lui sont propres. Pour Geza Vermes, le récit, la chronologie et la structure de l’Évangile selon Jean sont sui generis68. Les spécialistes actuels considèrent que le quatrième évangile représente une tradition historique indépendante des synoptiques et reflète des développements ultérieurs : ainsi, les longs discours que cet évangile attribue à Jésus résulteraient d’une lente réflexion au sein de l’école johannique sur la théologie du christianisme naissant et sur les liens entre le Christ et son Église69.
À la différence des synoptiques qui s’accordent sur une vie publique de Jésus se déroulant sur une année et essentiellement en Galilée, le quatrième évangile l’étale sur deux ou trois ans, mentionnant trois fêtes de Pâque qui ponctuent un ministère de Jésus exercé régulièrement à Jérusalem et presque exclusivement en Judée72.
Dans cet évangile, Jésus apparaît comme conscient d’avoir préexisté aux côtés de Dieu avant son ministère terrestre ; ses discours, centrés sur lui-même, tournent autour de sa personne et de sa relation personnelle à Dieu et à ses disciples73 là ou dans les trois autres évangiles, les paroles de Jésus, centrées sur Dieu, portent sur le Père et l’arrivée imminente du « Royaume de Dieu »74. Ce thème du « Royaume de Dieu » — thème clef des synoptiques74 — est significativement absent également70, avec une seule mentionv 30 qui ne joue aucun rôle dans la théologie de l’évangile75.
Là où les synoptiques fourmillent d’anecdotes et de personnages, le dernier évangile affiche une certaine sobriété61. Le texte johannique ne mentionne aucun exorcisme et présente un faible nombre de miraclesn 16 dont la majorité lui sont propres : ainsi l’eau changée en vin à Canav 31, la Guérison à la piscine de Béthesdav 32, la guérison d’un aveugle-név 33 et la résurrection de Lazarev 34. Il offre plutôt des dialogues, des histoires à portée métaphorique — comme celle du bon berger — plutôt que des paraboles, et de longs discours de révélation souvent décousus et répétitifs74 — qui présentent les grands thèmes théologiques johanniques76. De grands discours des évangiles synoptiques sont cependant absents, comme le sermon sur la montagne et celui du mont des Oliviers.
En outre, le quatrième évangile ne mentionne pas le baptême de Jésus dans sa rencontre avec Jean le Baptisten 17, ni la Transfiguration pas plus que le procès au Sanhédrin.
Il existe des parallèles stylistiques occasionnels et des ressemblances entre Jean et le gnosticisme mais la plupart des spécialistes actuels doutent que le quatrième évangile ait emprunté à ce dernier58 ; en effet, comme le souligne Raymond E. Brown, « tous les indices d’un gnosticisme développé datent d’après la composition de Jean »81.
Tout en rappelant que les évangiles canoniques intègrent des événements locaux afin de favoriser « la continuité entre le passé réel et le récit », Marie-Françoise Baslez considère que l’évangile de Jean apparaît « finalement », dans ce cadre, comme « le plus riche en informations historiques, […] le plus crédible et le plus cohérent dans l’articulation des faits », tandis qu’elle souligne le paradoxe que cela constitue avec le fait que ce soit également le plus théologique des évangiles84. C’est ainsi bien essentiellement la communication d’un contenu théologique pertinent qui préoccupe le rédacteur plutôt qu’une plausibilité narrative85.
La richesse du quatrième évangile a suscité parmi les exégètes une grande variété de découpages ou de plans. Néanmoins, une majorité de ceux-ci s’accordent sur un découpage en deux temps, introduit par un prologue et terminé par un épilogue.
L’évangile est ainsi constitué d’un prologue — qui commence par le célèbre « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. » — et d’un épilogue. Ce prologue et cet épilogue encadrent le récit proprement dit, composé de deux grandes parties : respectivement la révélation du Christ devant le monde et la révélation du Christ devant ses disciples, que l’exégète Raymond E. Brown appelle le « livre des Signes » – ou « des Miracles » –, et le « livre de la Gloire »,.
La première partie (du chapitre 1:6 au chapitre 12) raconte le ministère public de Jésus depuis son baptême par Jean le Baptiste jusqu’à son arrivée à Jérusalem. Cette première partie insiste sur sept miracles (« signes ») de Jésus. La deuxième partie (chapitres 13-21) présente les dialogues de Jésus avec ses principaux disciples (13-17) et décrit sa passion, sa crucifixion et ses apparitions aux disciples après sa résurrection (18-20).
Christologie
Jésus, Logos de Dieu
Le titre grec de logos — « Verbe/Parole » — qui scande le prologue pour ne plus apparaître ensuite dans l’évangile, est une notion qui traverse les cultures de l’Antiquité, présente par exemple tant dans la philosophie grecque classique que dans le stoïcisme86. L’allusion claire au premier verset de la Genèsev 36 puis les différentes allusions à la tradition sapientiale de l’Ancien Testament montrent que l’auteur a puisé dans la théologie juive telle qu’elle était présente dans le monde gréco-romain86.
Le choix du terme « logos » permet d’insister sur une expression de Dieu qui, dans le quatrième évangile, se manifeste comme une parole incarnée et intelligible86 : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu »88. C’est Jésus qui va incarner ce « Verbe divin » à la suite d’un prologue qui a pour objet de révéler la véritable identité du héros du récit qui va suivre89. Ainsi, pour le quatrième évangile, l’histoire de Jésus dans son intégralité doit être lue à partir de l’affirmation selon laquelle il est la Parole de Dieu faite chair90.
Il s’agit ainsi d’une christologie de l’incarnation dans laquelle le Fils préexistant, vivant en unité avec le Père et jouant un rôle de médiateur de la création, s’incarne pour que Dieu soit présent au sein de cette création et de l’humanité90.
L’évangile de Jean traite plus spécifiquement que les autres de la relation du rédempteur aux croyants, de l’annonce du Paraclet, assimilé à l’Esprit, comme réconfort et comme défenseur. Ce qui marque avant tout les esprits est le développement du thème (johannique par excellence) de la primauté de l’amour dans la doctrine chrétiennen 20.
Jésus, nouveau Moïse
Jésus est celui dont Moïse a parlé : Philippe dit à Nathanaël parlant de Jésus « celui dont parlent la loi de Moïse et des prophètes nous l’avons trouvé » (Jean 1, 45). De même, Jésus s’adressant à ses interlocuteurs leur dit : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi » (Jean 5, 46).
Les signes
Selon le dictionnaire Jésus, le Christ s’inscrit dans la tradition des prophètes de l’AT dont les prédications s’accompagnent de signes. Jean dans son Évangile reprend le terme de signe pour qualifier les miracles de Jésus qui sont tous imprégnés de signification. Le signe a pour objet chez Jean (20, 30631) de susciter la foi en la personne de Jésus, car il emploie le terme en liaison avec les verbes croire (2, 2; 7,31; 10,42 et 20,31) et suivre (6,2 et 10, 42).
Jean parle de six signes, pour parler des six miracles qu’il rapporte : 1. La transformation de l’eau en vin à Cana (2, 11).
2. La guérison du fils du fonctionnaire royal (4, 54).
3. La guérison du paralytique de Bethsada (6, 14).
4. La multiplication des pains (6, 14) .
5. La guérison de l’aveugle de naissance (9, 16).
6. La résurrection de Lazare (11, 47).
Et cette dernière préfigure la résurrection de Jésus, laquelle constituera le septième signe, en sorte que le quatrième Évangile contient sept signes, soit un chiffre parfait.98
L’absence de parousie
Un point particulier est que cet évangile ne contient pas de référence explicite à la parousien 21, à la différence de l’Apocalypse, qui est consacrée à ce thème. Certains universitaires ont même suggéré que, pour l’auteur, le Christ est déjà revenu spirituellement93.
Thème du témoignage véridique
On rencontre dans l’Évangile de Jean le thème du témoignage véridique. Jésus dit aux pharisiens : » bien que je me rende témoignage à moi-même, mon témoignage est véridique (…) Moi je suis mon propre témoin et le Père qui m’a envoyé est témoigne aussi à mon sujet (Jean 8, 13-18). Le prologue de l’Évangile parle de Jean Baptiste est nommé un témoin : « Il vint pour témoigner, pour rendre témoignage à la lumière (Jean 1, 7). L’Evangéliste dit de lui-même : « celui qui a vu rend témoignage, son témoignage est véridique, et celui-là sait qu’il dit vrai » (Jean 19, 35) et en conclusion de l’Évangile: » c’est ce disciple qui témoigne de ces faits et qui les a écrits et nous savons que son témoignage est véridique » (Jean 21, 24)100. Cette importance du témoignage chez Jean on la retrouve dans le début de sa première épitre : » ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché du Logos de vie (…) nous l’avons vu et nous en rendons témoignage. (I Jean 1, 2).
Style et langage
La comparaison avec les trois autres évangiles canoniques met en relief la singularité du langage johannique. Il développe un vocabulaire qui lui est propre en usant d’une terminologie — « aimer », « connaître », « témoigner », « juger », « le Père », « la vie », « le monde », « les juifs »n 22 — qu’on ne retrouve guère dans les synoptiques qui développent d’autres thèmes — le Royaume /le Règne, le baptême, l’évangile, la parabole, la prière — qu’on ne retrouve quasiment pas dans le dernier évangile101. Apparemment simple, le quatrième évangile est en fait d’une grande subtilité60 et plusieurs autres traits stylistiques le caractérisent encore.
Double sens et double discours
Participants en partie de « l’incompréhension », on relève une série de doubles sens dans le discours de Jésus qui peuvent traduire l’aspect multiforme de la révélation104.
Le texte laisse la possibilité de lectures multiples de certains propos de Jésus, n’hésitant pas à jouer sur les mots avec un sens parfois fondé sur l’hébreu, parfois sur le grec, ou qui ont des doubles significations104. La scène de Nicodème, usant de nombreux jeux de mots et de ce fait difficile à restituer, est significative de ce procédév 38.
L’auteur du quatrième évangile propose souvent dans un même récit, voire dans une même métaphore, plusieurs niveaux de sens. Celui-ci peut correspondre aux différentes strates de composition du texte : celui-ci, tout en exposant le contexte propre au ministère public de Jésus, peut, dans un deuxième sens, témoigner de la situation de la communauté de ses disciples. Un exemple assez connu est l’annonce de la destruction du Temple de Jérusalem et de sa reconstructionv 39, qui prend un autre sens, orienté vers la crucifixion puis la résurrection du corps de Jésus104.
Le texte est considéré comme le résultat du travail successif d’un premier évangéliste auteur du corps du texte puis d’un autre auteur — ou réviseur — (peut-être plusieurs) qui y a fait des ajouts mais avant que l’évangile soit mis en circulation105. Ainsi, après la conclusion du chapitre 20v 40, un chapitre 21n 23 et une autre fin ont été ajoutésv 41. Certains des ajouts du second éditeur donnent l’impression d’un double discours : on retrouve — parfois mot pour mot — des propos de Jésus déjà rapportés104 : le réviseur a pu trouver dans la tradition des versions différentes des discours qu’il a ajoutées à des endroits appropriés afin qu’elles ne se perdent pas et bien que ce matériel soit redondant avec les versions du premier rédacteur, même si l’on trouve parfois un autre ton dans ce matériel répétév 42.
—
La Croix 4/2/2016 modifié le 26/12/2018
En quoi l’évangile de Jean est-il différent ?
L’évangile de Jean est profondément symbolique, au sens fort, c’est-à-dire qu’il nous parle de Dieu et de l’être humain. C’est un évangile poétique, explique le P. Gérard Billon, bibliste.
Sophie de Villeneuve : On sait que l’évangile de Jean est le plus tardif, écrit à la fin du Ier siècle de notre ère, et qu’il est différent des trois autres. Beaucoup le trouvent intimidant, car il comporte de longs développements et de grands discours. Mais d’abord, qui était saint Jean ? Est-ce le disciple bien-aimé dont il est fait mention dans les évangiles ?
G. B. : Les textes des évangiles n’ont pas été signés, on les attribués à tel ou tel au IIe siècle de notre ère. À la fin de l’évangile dit « de Jean », on trouve un personnage extraordinaire appelé « le disciple que Jésus aimait ». L’évangile nous dit que c’est ce disciple qui l’a écrit, et on a identifié ce disciple avec l’apôtre Jean, fils de Zébédée. Ce n’est pas très important. Ce qui l’est, en revanche, c’est de ne pas confondre le « disciple que Jésus aimait » avec le personnage historique de Jean, car le quatrième évangile est un texte profondément symbolique, au sens fort, c’est-à-dire qu’il relie Dieu et l’humanité. C’est un évangile théologique et anthropologique, qui nous parle de Dieu et de l’être humain. C’est un évangile poétique. L’évangile de Jean ne raconte pas la naissance de Jésus. La mère de Jésus apparaît pour la première fois aux noces de Cana. Elle n’est jamais appelée par son nom. « La mère » apparaît au début de l’évangile au cours des noces de Cana, et tout à la fin au pied de la Croix. C’est le seul des quatre évangiles qui la situe, avec Marie-Madeleine et le disciple bien-aimé, au pied de la Croix. L’écrivain l’appelle « la mère », pour insister non pas sur le personnage historique, mais sur sa fonction théologique, poétique et symbolique. De même, peu importe qui était « le disciple bien-aimé », il est notre ancêtre dans la foi. C’est avec lui que nous devons écouter Jésus, être au pied de la Croix, et croire devant les signes de la Résurrection, devant le tombeau vide.
On dit que cet évangile a été écrit dans une communauté, une communauté johannique, qui connaissait les autres évangiles et a voulu s’en différencier. Est-ce vrai ?
G. B. : Les évangiles ont été écrits par vagues successives, et l’on estime que la dernière rédaction de l’évangile de Jean date des années 90 ou 100 de notre ère, les premières remontant aux années 70. En 70 on connaît l’évangile de Marc, et dans les années 80 ceux de Matthieu et de Luc. Il est donc possible que les communautés johanniques les aient connus. Il y a d’ailleurs un fonds commun aux quatre évangiles, qui est le personnage de Jésus et les grands événements de sa vie. En revanche certains épisodes ne figurent que chez Jean : les noces de Cana, la résurrection de Lazare, même si Lazare, Marthe et Marie apparaissent dans d’autres évangiles. L’épisode de la multiplication des pains figure dans les quatre évangiles, mais le grand discours dit « du pain de vie » que Jésus prononce ensuite ne figure que chez Jean.
Qu’est-ce que cet évangile a donc voulu dire de particulier ?
G. B. : Que Jésus de Nazareth était le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu, et que si nous voulons connaître Dieu du fond de notre cœur, de notre corps et de notre intelligence, il nous suffit de nous laisser informer par Jésus. C’est ce qui est dit dans le Prologue, au tout début de l’évangile de Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu ». Ce Verbe va s’incarner, venir parmi nous, « et les siens ne l’ont pas reçu ». Et tout à la fin du Prologue on nous dit : « Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, nous l’a révélé ». Ce dernier verbe, difficile à traduire, veut dire aussi dévoiler, faire connaître, raconter. Jésus de Nazareth est le récit de Dieu.
Les évangiles ont cherché, après de longues années, à raconter ce qu’ils avaient compris de toute cette histoire ?
G. B. : Non seulement ils ont raconté ce qu’ils avaient compris, mais ils ont aussi raconté ce qu’ils n’avaient pas compris, notamment la mort et la résurrection de Jésus. Et nous peut-être encore aujourd’hui n’avons-nous pas totalement compris non plus ce qu’est véritablement la résurrection de Jésus. Mais ce n’est pas pour autant que nous ne pouvons pas en vivre. Même en additionnant toutes les informations rapportées par les quatre évangélistes sur la personne de Jésus, nous n’en aurons jamais fait le tour. Mais Jean, comme les trois autres à leur manière, nous permet d’être des disciples de Jésus. L’évangile de Jean compte deux grandes parties : les douze premiers chapitres rapportent que Jésus fait de nombreuses rencontres. Ce sont des rencontres symboliques : Jésus et Nicodème, ce grand intellectuel du monde juif, Jésus et la Samaritaine, membre d’un peuple dont on se méfie, que l’on considère comme hérétique, une femme qui de plus a eu cinq maris. Le salut concerne tout autant Nicodème que la Samaritaine. Il y a aussi Lazare, l’aveugle-né, le paralysé… Jean dresse de grandes scènes, dépeint de grands mouvements.
Pour dire que le salut est pour tous ?
G. B. : Tout à fait. D’autre part, l’autre originalité de l’Évangile de Jean, c’est, du chapitre 13 au chapitre 19, le récit des derniers jours de Jésus, où le temps est comme suspendu. Et le dernier repas de Jésus n’est pas le repas eucharistique des autres évangiles, c’est un repas testamentaire, au cours duquel revient comme un refrain « Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés. » Dans le chapitre 17, nous sommes parmi les disciples et nous entendons Jésus parler avec son Père. Et c’est raconté de manière très simple, car le grec de Jean n’est pas très recherché, et pourtant c’est un texte difficile, qui fait des retours en arrière, qui prend de la hauteur…
On y parle beaucoup d’amour ? Peut-on dire que c’est l’évangile de l’amour ?
G. B. : On peut le dire, à condition de bien comprendre ce qu’est l’amour. Jean ne parle pas du tout de l’eros, mais de la philia et de l’agapè, qui sont l’amour d’amitié et le don de soi pour que les autres vivent. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie », et cela Jésus non seulement le dit, mais il le fait.
Et puis Jean relate le lavement de pieds, qu’on ne trouve pas dans les autres évangiles.
G. B. : Le lavement des pieds est un geste symbolique, un geste prophétique, à la fin duquel Jésus demande aux apôtres : « Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? » Commence alors un des derniers grands discours, où il leur dit : « Lavez-vous les pieds les uns des autres », c’est-à-dire : « Aimez-vous les uns les autres ». Aimez-vous par les gestes du service.
Peut-on dire que l’évangile de Jean parachève les trois autres ?
G. B. : Non ! Il n’y a pas d’achèvement. Nous avons quatre récits évangéliques, et chacun a sa puissance. Celui de Jean apporte un éclairage original, il insiste sur le fait qu’en contemplant Jésus-Christ, nous avons accès à Dieu. « Qui me voit voit le Père », dit-il à Philippe. Nous qui n’avons jamais vu Jésus, ce sont les signes écrits par le disciple qui désormais nous le donnent à voir.
—
—
« L’évangile selon Jean » – Le Nouveau Testament / La Sainte Bible, Part. 4 VF Complet